Les associations ressentent un malaise profond. Il a le sentiment de ne plus être reconnu comme un interlocuteur naturel et productif du gouvernement dans l’élaboration des politiques publiques. Les phases de concertation sont réduites à leur plus simple expression lorsqu’elles ne sont pas simplement supprimées ou remplacées par des consultations sans véritable impact. Elles portent au mieux sur la mise en œuvre des décisions prises mais très rarement sur leur préparation et leurs impacts. La diminution des APL, la réduction drastique du nombre d’emplois aidés, l’intensification du contrôle des migrants, la réduction des crédits, le projet de loi Elan… la liste est longue, des sujets sur lesquels les associations n’ont pas été écoutées par les pouvoirs publics avant de prendre des décisions majeures pour les publics concernés.

C’est bien sûr un signal particulièrement négatif pour les associations dont l’avis ne semble pas intéresser. C’est aussi une perte d’efficacité car le gouvernement se prive de l’expertise de ceux qui sont au plus près des populations concernées. Les associations n’ont pas le monopole de la vérité mais elles ont leur part de vérité.

Changer la société ne se décrète pas d’en haut, les modifications ne peuvent s’effectuer ni sans le public concerné ni sans les corps intermédiaires en l’occurrence dans ce secteur : les associations.

Dans le secteur social de lutte contre l’exclusion un exemple illustre notre propos : la fameuse circulaire du 12 décembre qui impose la visite des services de l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration et des préfectures dans les centres d’hébergement pour vérifier le statut juridique des migrants. Ce texte remet en cause à nos yeux plusieurs droits et protections essentiels ; il se révèle d’ailleurs d’une application pour le moins chaotique. Les associations ont déposé un référé devant le Conseil d’Etat. Celui-ci a rejeté la demande d’annulation de la circulaire mais en a fait une interprétation qui donne raison aux associations sur plusieurs points décisifs. Le Défenseur des Droits a, quant à lui, demandé la suspension du texte. N’aurait-il pas été plus productif d‘échanger avant sa rédaction avec les associations qui gèrent les centres d’hébergement ? Des solutions plus acceptables et plus respectueuses auraient sans doute été trouvées. L’avenir des personnes âgées en EHPAD, et plus nombreuses encore à domicile, impose une réflexion et une concertation qui, à ce jour, se limitent au seul encadrement budgétaire et à la stricte machinerie tarifaire. Ceci n’est plus tenable ni pour les seniors, ni pour les professionnels de l’accompagnement et du soin.

Dans le champ du handicap, pourtant priorité affichée par le président de la République, le mode de concertation laisse, aussi, les associations spectatrices de décisions prises en amont ou ailleurs. Le meilleur exemple en est les négociations sur l’emploi des personnes handicapées, dont le taux de chômage reste dramatiquement élevé. Les associations ont dû batailler âprement pour être finalement associées aux discussions. Mais depuis, aucune rencontre incluant l’ensemble des parties prenantes ne s’est tenue…

Certaines mesures positives en apparence cachent, elles, des réalités bien différentes. Ainsi, la revalorisation de l’allocation aux adultes handicapés (AAH),  présentée comme l’une des mesures sociales prises par le Gouvernement, est une réforme en trompe-l’œil qui laisse, à l’issue de manœuvres budgétaires non concertées, de très nombreuses personnes  dans la précarité.

Alors que le gouvernement promeut le concept de société inclusive, le projet de loi « Elan » sur le logement présente, lui, un net retour en arrière en termes d’offres de logements accessibles aux personnes en situation de handicap. Une politique en contradiction avec la priorité donnée au maintien à domicile et à l’habitat inclusif dans une société de plus en plus vieillissante. De même, les travaux de transposition de la directive européenne sur l’accessibilité augurent un creusement de la fracture numérique dont la réduction est pourtant censée être au cœur des priorités.

Enfin, la communication bien huilée sur le 4e plan autisme ne répond pas, malgré certaines mesures positives, aux alertes des associations et ne propose pas de mesures à la hauteur des enjeux. Des dizaines de milliers de personnes autistes ne seront jamais diagnostiquées ni accompagnées et seront laissées de côté.

Pourtant, les associations ont une légitimité: celle de connaître les publics concernés, de soutenir leur pouvoir d’agir, et, souvent, d’être leur seul porte-parole. Elles font en sorte que ces personnes soient de plus en plus actives dans leurs instances de réflexion et de délibération. Personne ne peut se passer de leur vision des choses et de leurs avis ; ni les associations, ni le gouvernement. Respecter les associations dans leur capacité à participer à l’élaboration des politiques publiques, c’est aussi respecter les personnes que ces politiques intéressent.

En limitant à la portion congrue la concertation, on nie ce qui fait la spécificité et la richesse des associations et les rend irremplaçables : l’engagement des personnes directement concernées, des bénévoles et des salariés, leur créativité, leur capacité d’innovation qui est à l’origine de la plupart des avancées dans le domaine du social, de la solidarité et de la défense des droits, leur aptitude à créer du lien social dans une société que creusent les inégalités. Prendre le risque de ne pas les consulter, d’en faire des chambres d’enregistrement ou de simples prestataires de service répondant à des appels à projet, c’est remettre en cause leur capacité créative, au bénéfice du moins disant, au détriment de la qualité du service rendu et de l’innovation sociale.

Pour assurer le dynamisme d’un mouvement associatif vigoureux et l’inciter à constamment améliorer l’efficacité du service qu’il rend, il faut le reconnaître comme un interlocuteur majeur, capable d’apporter son expérience, son expertise, son engagement dans la production des politiques publiques. Les associations mobilisent des bénévoles, créent de l’emploi et de la croissance en renforçant la cohésion sociale et en s’attaquant aux inégalités. Dans une société où les réussites économique et financière sont largement valorisées, loin d’être dépassé, le secteur non lucratif doit être considéré comme l’autre versant du choix de société, du vivre ensemble et des valeurs qui fondent notre République.

Il y va, en fait, de l’idée que l’on se fait de la solidarité. Soit on la considère comme l’addition de mesures destinées à éviter les situations les plus dramatiques  et dans ce cas, les associations sont des exécutants ; soit on la considère comme impliquant toute la société, bénéficiant à toute la société, comme le fruit d’une mobilisation citoyenne ; alors on a besoin d’associations vivantes, présentes dans le débat public et porteuses, à côté d’autres acteurs, de cette valeur républicaine de fraternité.

Liste des signataires :

  • Louis Gallois, président de la Fédération des acteurs de Solidarité
  • Veronique Fayet, présidente du Secours Catholique
  • Laurent Desmars, président de la Fondation abbé Pierre
  • Eric Yapoudjan, directeur de la fondation Armée du Salut
  • Alain Villez, président des Petits frères des pauvres
  • Guillaume Quercy, président de L’UNA
  • Patrick Doutreligne, président de l’Uniopss
  • Jean-Louis Garcia, président de l’Apajh
  • Alain Rochon, président d’APF France handicap
  • Edouard Ferrero, président de la CPFSAA
  • Arnaud de Broca, sécrétaire général de la Fnath
  • Béatrice Borrel, présidente de l’Unafam
  • Luc Gateau, président de l’Unapei

Ce texte a été publié dans Le Monde du samedi 5 mai sous le titre « Face aux politiques publiques, le malaise grandissant des associations ».

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