Les arrêts d’Assemblée Plénière de la Cour de cassation du 20 janvier 2023 qui énonçaient que « la rente AT ne répare pas le poste de déficit fonctionnel permanent (DFP) » améliorent nettement le sort des victimes d’AT/MP qui obtiennent la reconnaissance d’une faute inexcusable de leur employeur (FIE).

Ce revirement de l’Assemblée plénière s’inscrivait pleinement dans la volonté maintes fois énoncée dans les rapports annuels de la Cour de cassation d’améliorer l’indemnisation des victimes de risques professionnels afin de réduire l’écart avec la réparation des victimes « civiles » de dommages corporels, et d’accorder la réparation intégrale des préjudices en cas de faute inexcusable de l’employeur. Une demande partagée de longue date par chacune de nos associations.

La négociation nationale interprofessionnelle (ANI) sur les AT-MP engagée en 2022-2023 constituait une opportunité pour s’inscrire dans cette évolution d’intérêt général en améliorant le fameux compromis social inscrit dans la vieille loi de 1898.

Cependant, l’article 39 du Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale pour 2024, censé retranscrire l’ANI, a suscité une telle vague de protestations que le gouvernement a préféré le retirer sur proposition du parlement. Le ministre du Travail a refusé par la suite de réintroduire une version proposée par les partenaires sociaux mais qui ne changeait rien sur le fond.  Il a demandé au préalable une clarification quant aux intentions des signataires à propos notamment de la FIE.

C’est dans ces conditions qu’un groupe de travail paritaire a été mis en place. Depuis plusieurs mois, nous avons pu consulter un certain nombre de documents, notamment de diaporamas émanant de la Direction la Sécurité Sociale (DSS), en réponse aux demandes des membres du groupe de travail. Les exemples et les simulations proposés par ces derniers, se basaient sur des éléments concrets et connus : le barème médical des AT/MP, le barème du concours médical, la valeur du point issu du référentiel Mornet… pour calculer le montant du budget nécessaire à une amélioration, même faible, du sort des victimes d’AT/MP. Certaines simulations démontraient d’ailleurs que certaines victimes pouvaient être « perdantes » dans la réforme.

Nous avons également pu analyser la synthèse de ces travaux, éditée le 16 avril 2024 et qui avait pour but de dresser le bilan des discussions du groupe de travail au sujet de la possible réforme de la réparation des AT-MP.

Ce dernier document constitue un véritable retour en arrière par rapport aux éléments qui semblaient en discussion.

Il y a peu, voire pas de différences avec ce qui avait été proposé dans le PLFSS 2024. Le flou est au maximum sur le fait de savoir qui sera chargé d’élaborer les outils de calcul. (Barème pour l’incapacité médicale en lien avec la part professionnelle, guide méthodologique pour les médecins ou encore le barème inspiré du référentiel Mornet pour la part fonctionnelle) Les interrogations restent donc entières.

1. Problème de précisions des outils et des calculs entachant tout le dispositif

  • Utilisation du barème du concours du barème médical pour déterminer le taux de DFP (part fonctionnelle) : ce barème médical n’est pas applicable pour les maladies professionnelles, notamment pour les cancers. Comment sera-t-il modifié pour être adapté et par qui exactement ?
  • Quel barème ou quel outil sera utilisé pour déterminer le taux d’IP pour la part professionnelle et qui devra l’établir ? Jusque-là, c’est le barème actuel des AT/MP qui était utilisé dans les simulations. La modification du barème médical pour déterminer le taux d’IP de la part professionnelle rendrait caduc l’ensemble des calculs et simulations réalisés (notamment par la DSS) En réalité, il est indispensable de conserver le barème médical des AT/MP actuellement utilisé qui permet de déterminer le taux de séquelles sur « le corps laborieux » et qui est donc parfaitement applicable. Si ce barème devait malgré tout être modifié, il devrait l’être avant toute proposition de réforme des rentes des AT/MP afin que des calculs et simulations puissent être faits. Il est difficilement envisageable d’adopter une méthodologie sans avoir de visibilité sur les paramètres qui vont déterminer le niveau d’indemnisation.
  • On parle de donner des indications claires et harmonisées aux médecins-conseils (page 4) ? Quelles sont-elles et qui les donnera ? S’agira-t-il d’un guide méthodologique sans valeur législative ou, au contraire, d’un texte à valeur réglementaire ?
  • Toujours le problème de formulation pour le calcul de la part fonctionnelle : on parle de « multiplication du taux d’incapacité par la valeur du point » alors qu’il faudrait écrire « multiplication du nombre de points par la valeur du point. »
  • Le texte ne mentionne le salaire réel qu’en cas de faute inexcusable et sans plus de précisions. Il n’est pas certain que pour les AT hors FIE un abattement ne soit pas prévu en plus du plafond déjà défini.
  • Rien ne permet de s’assurer que les victimes d’AT/MP, qui déclarent une maladie professionnelle à la retraite auront le droit de percevoir une part professionnelle dans leur rente AT ou que cette dernière sera maintenue lors du passage à la retraite pour les autres victimes. Il serait dramatique que les victimes consolidées à la retraite, qui sont, souvent, très gravement atteintes (par des cancers notamment) ne perçoivent pas de part professionnelle, et qu’elles aient le droit seulement à une part fonctionnelle correspondant à leur DFP, versée sous forme de rente. Ces victimes, ayant une espérance de vie très limitée, ne seraient quasiment pas indemnisées. De plus, le barème du concours médical dont l’usage est préconisé pour la part personnelle ne prévoit pas de taux d’incapacité pour les maladies professionnelles puisqu’il a été créé pour les accidents. Par ailleurs, la question de la consolidation qui peut poser des difficultés pour les pathologies évolutives (les cancers professionnels) n’est pas évoquée. Si la part professionnelle pour ce type de victime devait être supprimée, le conjoint survivant se verrait également privé du versement de la rente d’ayant droit, qui a toujours eu une finalité économique, en cas de décès de la victime imputable à la maladie professionnelle.

2. Contradictions portant sur des points déterminants

  • S’agissant de la part fonctionnelle : il est expressément précisé que cette dernière indemnise les 3 composantes du DFP (page 1) mais il est ensuite dit que « l’article L.452-3 CSS devra être réexaminé afin de tenir compte du périmètre du DFP indemnisé au titre de la part fonctionnelle de la rente » ce qui laisse sous-entendre que toutes les composantes du DFP ne seraient pas indemnisées par la rente. Le fait que le texte prévoie expressément que le DFP de la rente AT/MP indemnise les 3 composantes de celui-ci empêchera les victimes d’AT/MP en FIE de demander l’indemnisation des souffrances endurées post consolidation, quand bien même ne seraient-elles pas effectivement indemnisées par la rente. (Le barème du concours médical ne prend en compte que l’atteinte purement fonctionnelle des victimes, très rarement les souffrances endurées post-consolidation et jamais les troubles dans les conditions d’existence). Ces deux derniers aspects de ce poste de préjudice ne seront pas indemnisés malgré la faute inexcusable de l’employeur.
  • Manque de clarté concernant le sort des victimes avec un taux d’IP < 10%: quels impacts sur ces victimes ? continueront-elles à percevoir un capital ou auront-elles une rente ? En page 2, il est indiqué que la composante professionnelle devra nécessairement être indemnisée sous forme de rente, même pour les victimes avec un taux d’IP < 10% mais en page 5 il est écrit que les sommes versées au titre des indemnités en capital (donc pour les victimes avec un taux IP < 10%) semblent relever du DFP et donc pourrait être versé sous forme de capital. Il faut préciser que les victimes avec un taux d’IP < 10% subissent très souvent un retentissement professionnel. Lorsque c’est le cas selon quelle modalité sera versée l’indemnisation ?

3. Recul sur les documents précédents

  • Sur le versement du DFP en capital : ce dernier document précise que cette modalité de versement ne concernera que les victimes avec un petit taux de DFP, ce qui n’est pas favorable aux victimes. (Voir développement antérieur)

Or, c’est justement pour les victimes atteintes de maladies graves avec un taux important que le versement sous forme de capital est essentiel.

Exemple : une victime qui décède quelques mois après sa consolidation percevra une rente quelques mois et ne sera jamais indemnisée intégralement pour les souffrances subies qui sont intégrées dans le DFP.

La victime percevra une rente entre sa date de consolidation et son décès. En cas de faute inexcusable la famille ne pourra prétendre qu’à la majoration au taux réel de la rente versée quelques mois.

En cas de faute inexcusable est-ce que la part du DFP pourra être versée sous forme de capital ?

Rien n’est indiqué à ce titre.

  • Pour les victimes qui se verront attribuer une rente pour la part fonctionnelle : rien n’est indiqué s’agissant de la méthode de décapitalisation : est ce qu’une table d’espérance de vie sera utilisée ? celle utilisée dans les exemples de la DSS n’avait pas été retrouvée.

4. Un point positif 

  • Il n’est plus évoqué d’abattement de salaire. Il est donc possible que le salaire ne soit donc plus diminué. Cela est favorable aux victimes.

5. Des économies pour la caisse se profilent

  • Il est fait mention d’une enveloppe globale pour financer cette réforme comprise en 250M et 400M d’euros. En réalité, il faudrait déduire :
    • Les sommes actuellement versées au titre des indemnités en capital pour les taux d’IP inférieur à 10% (90M€) puisque, selon le texte critiqué, ces sommes seraient transférées sur des indemnisations au titre du DFP (page 5),
    • ET les sommes issues du recours du tiers payeurs que la caisse devait perdre suite aux arrêts du 20/01/2023 mais qu’elle récupèrera finalement si cette réforme est adoptée, à savoir 70M d’euros selon l’étude d’impact du PLFSS 2024.

Si bien que la fourchette serait effectivement comprise entre 90M et 240M.

Conclusion générale : l’objectif, plusieurs fois affiché par l’ANI, de « maintenir » le caractère dual de la rente (rente dont il a été démontré qu’elle n’avait jamais eu de caractère « dual » mais qu’elle réparait uniquement les conséquences de l’accident sur le corps au travail) ne peut pas avoir pour effet de léser les accidentés du travail mais doit impérativement aboutir à une amélioration de leur sort (et pour les victimes en faute inexcusable à la réparation intégrale) Le texte présenté prouve, à l’évidence, que cet objectif d’amélioration n’est pas rempli et risque d’aboutir à une dégradation de la situation antérieure.

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